Corinne Vezzoni : « la destruction du patrimoine semble être une tradition » à Marseille

Aux noms des adhérents et résidents du secteur, le  CIQ Arenc-Villette remercie chaleureusement  monsieur David Coquille pour avoir  autorisé la  publication de son article paru dans le journal La Marseillaise..

Corinne Vezzoni, a été primé de multiples fois  
     -- Prix des Femmes Architectes 2015
     -- Chevalier de la Légion d’honneur en 2013
     -- Prix Femme architecte de l'année 2015
     -- …..

Elle est  membre de l’Académie d’Architecture et du Ceser, enseigne à l'IUAR.

Pour en savoir plus sur Corinne Verzzoni architecte

 


Propos de Madame Corinne Verzzoni  recueilli par David Coquille  le 17/11/2017
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Est-ce une fatalité pour Marseille que de détruire son histoire ? La destruction du patrimoine semble être ici une tradition entretenue.

Je me souviens du combat mené sur le Prado pour sauver la belle usine des spiritueux Cusenier et le Garage Mattei, deux échecs sauf pour la consigne sanitaire de Pouillon. La ville, ça n’est pourtant que la stratification de l’histoire et c’est cet empilement qui donne la qualité. A Marseille, il n’y a jamais eu un vrai désir de qualité architecturale et urbaine. Le paysage est-il trop fort, écrase-t-il tout ? Marseille a une telle force et une telle magie que le reste ne compte pas. Est-ce un désintérêt des politiques, des constructeurs ? Il y a eu pourtant des moments clés après guerre avec Fernand Pouillon et André Devin. Marseille vit sur l’héritage glorieux du XIXe siècle mais je dois dire qu’il est rare qu’une ville se détourne à ce point de son histoire. Mon architecture est vraiment dans ce combat-là, faire avec les traces de notre histoire. Je me suis battue pour que la synagogue de Fernand Boukobza à Sainte-Marguerite soit classée au Patrimoine XXe. J’ai rendu hommage à René Egger avec le Pavillon jaune de la Timone. Je ne construis qu’avec les traces du passé pour en faire autre chose. Pour mon seul concours à Marseille d’aménagement du Vieux-Port (*), j’avais accueilli Marcel Roncayolo, Jean-Lucien Bonillo pour m’accompagner dans une lecture historique de la ville. Marseille a la nature au coeur de la ville. Même au Vieux-Port on trouve encore des roches pratiquement originelles. Et si la nature est encore présente ça et là, c’est qu’elle reprend ses droits dans cette ville un peu délaissée. Comment faire pour que la ville change avec son histoire tout en l’affirmant et en révélant son passé encore plus ? Personne ne s’est battu pour aménager le port antique alors qu’il est le départ même de la ville. Il est ceinturé de clôture, d’un supermarché alors qu’à Rome on peut se promener dans les thermes de Caracalla.

Votre confrère Georges Heintz fait l’éloge du vide. Oui l’espace vide est nécessaire dans la ville mais est-ce que la Corderie est le lieu le mieux placé pour ce vide ? Je n’en suis pas sûr. Je rejoins Rudy Ricciotti sur la densité nécessaire et utile des villes pour le vivre ensemble, pour ne pas consommer d’espace. Regardez pour les archives et la bibliothèque départementales que j’ai réalisées en 2006, j’ai réussi à convaincre le conseil général qu’en construisant les archives et la bibliothèque sur un même terrain avec un hall commun, on pouvait proposer du vide à la ville dans ce quartier très populaire en retrait qui n’avait ni parc ni jardin. J’ai installé les archives en fond de parvis pour mettre en lumière l’ancienne église Saint-Martin d’Arenc à l’abandon, un des rares patrimoines du début du XXe. Toutes les associations étaient derrière moi car cette église était justement le témoignage de ce quartier qui disparaissait et qu’Euroméditerranée phagocytait progressivement. L’église était invisible, le parvis l’a révélée. J’ai composé avec elle, j’ai fait en sorte que chacun trouve sa place et que chacun révèle l’autre. Je me suis battue car un arrêté de démolition avait été pris. Aujourd’hui, elle est sauvée, un grand projet culturel est prévu. Sur le grand concours que j’ai remporté à Toulon de reconversion de l’ancien hôpital militaire Chalucet, une aile de l’hôpital du XVIIe et une chapelle du XVe sont conservées et bien je fais avec. Et c’est possible de faire avec et d’être contemporain. Chaque époque apporte sa contribution sans pour autant être pastiche de l’autre. Il faut oser affirmer cela. On a du mal à Marseille à affirmer la modernité, à être ce que notre époque est.

 

En regardant la Corderie avec ses vestiges, quelles idées vous viennent à l’esprit ? J’ai toujours trouvé ce boulevard de la Corderie un peu glauque. Il n’est pas inintéressant de lui redonner vie. Le site de la carrière antique est assez en contrebas et souvent dans l’ombre. J’émets des doutes sur un jardin. La fragilité des vestiges ne le permettrait pas. Et puis comment planter des arbres dans ce lieu extrêmement minéral ? C’est l’intérêt aussi à la Corderie de montrer la minéralité de la ville qui est son essence même, la roche dure et claire qui joue avec le soleil, les jeux d’ombre et de lumière. Mais ça ne veut pas dire que pour protéger la carrière antique on ne puisse pas avoir un socle complètement transparent, fermé, vitré, très haut avec des pieux qui soulèvent un bâtiment qui se trouverait au-dessus car on peut aussi accepter que les gens viennent se loger en pleine ville. Cet espace sur les vestiges peut être à 12 mètres sous plafond de façon à recevoir de la lumière pour ne pas que ça devienne un lieu glauque, sombre et pas visité.

En découvrant ce site antique, j’ai immédiatement pensé au musée gallo-romain de Jean Nouvel à Périgueux. C’est l’image que j’ai en tête, un toit sur lequel on peut construire du logement et dessous une ceinture de grands vitrages transparents donnant sur la ville. Cela devient alors un lieu où on peut venir lire, exposer. Je pense que ce site on peut en faire autre chose. Il ne faut pas que cela devienne un lieu sanctuarisé car il pourrait trouver une vraie vocation pour des fonctions qui manquent dans le quartier et qu’on vive ainsi dans et avec les vestiges. Cet espace on peut le partager pour le quartier, pour le vivre ensemble, une crèche, un lieu d’exposition au milieu des ruines, ça pourrait être un super projet que d’à la fois protéger les vestiges par une paroi de verre devenant presque un vrai musée, avec une crèche, une bibliothèque, un lieu d’exposition d’artistes. Croyez-moi, chacun y trouverait son compte.

 

Quelle leçon tirer de ce désastre et sur la qualité de l’urbanisme à Marseille en général ? C’est d’autant plus grave ce qui se passe qu’on se situe à proximité de monuments historiques, l’abbaye Saint-Victor et le rempart de Louis XIV mais je dirais que c’est grave partout car la qualité de ce qui se construit on doit l’exiger partout. Les bâtiments de France et les services de l’urbanisme ont une responsabilité. Pensez-vous que ce qui s’est construit au pied du Corbusier est à la hauteur de son oeuvre ? Pensez-vous que ce qui s’est construit sur le front de mer, autour de Borély jusqu’au début de la Corniche est à l’échelle de la beauté de cette rade ? C’est le néant. Comment pense-t-on cet espace public face à la mer ? Comment lui donne-t-on une vraie qualité de promenade, une échelle ? L’arbre n’a-t-il pas sa place là aussi alors qu’on a de l’espace ? Comment apporte-t-on de l’ombre dans une ville qui a une telle luminosité ? Comment se protège-t-on du mistral ? Ce sont ces questions simples. Etre exigeant sur tout et ne rien lâcher. Il n’y a que comme ça qu’on peut s’en sortir. 

l (*) Bien que lauréate du jury, la Métropole avait choisi Foster

Réalisé par David Coquille

Voir L’article sur le Journal  La Marseillaise

 

Commentaires

1. Le vendredi 16 décembre 2022 par ALAIN

Ce n'est pas une fatalité mais un choix politique. Les archives ont été construites pour mettre en lumière cette très belle église Saint Martin.
Elle a été acheté par la Région; proposant aux habitants du quartier des projets culturels, à la grande satisfaction de tous, maintenant Mme Vassal veut vendre ce site. Pourquoi?. Il est possible de revenir sur cette décision et d'en faire un site vert et culturel.
Merci au CIQ d'agir et il faut que nous tous du 3ème et tous les marseillais fassent pression sur Mme VASSAL, la mairie pour sauver ce site et ne pas avoir encore des ensembles immobiliers

2. Le samedi 17 décembre 2022 par Scolastique

Article très intéressant, si il y a la possibilité de stabiliser l'église comme j'ai lu dans les autres articles il faut garder Saint Martin d'Arenc, avec son parc car il n'y a pas assez d'espaces verts dans le quartier.
pourquoi ne pas faire un auditorium pour organiser des concerts

3. Le mercredi 21 décembre 2022 par Jacqueline

La proposition de Scolastique est plus qu'intéressante surtout en ce qui concerne l'organisation de concerts car, à l'intérieur de l'église, se trouve une voûte qui permet une qualité de l'acoustique optimale. Et bien sûr, concernant le cadre verdoyant qui entoure l'église, il est primordial de le conserver, de le préserver et de le valoriser. La volonté des riverains et des habitants doit être respectée, ils ont le droit de ne pas à être privés de leur patrimoine local et ils doivent le faire savoir.

4. Le vendredi 30 décembre 2022 par pastyn

C'est qui le maire ,et combien ça rapporte ?? notre patrimoine disparait pour du béton ,pourquoi une église ?

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