L’église Saint-Martin d’Arenc. Un bref historique de M. Régis Bertrand.

Monsieur Régis Bertrand*, Professeur émérite d’Histoire moderne, nous a fait l’honneur d’autoriser la publication  d’un résumé sur  l’histoire de l’église de Saint Martin d’Arenc et nous éclaire ainsi sur la richesse de cet édifice que certains  se permettent d’appeler ruine.

Souvent et même très souvent, une ruine arbore une élégance, transmet une émotion  telle que le plus beau des édifices contemporains ne peut  offrir.

Aux noms des adhérents et résidents du secteur, le  CIQ Arenc-Villette remercie chaleureusement  monsieur Régis Bertrand pour sa contribution.

 

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L’église Saint-Martin d’Arenc. Un  bref historique

N. B.  : Cette étude strictement informative a été rédigée en avril 2004 et complétée en 2007. La presse se faisait alors l’écho de projets de démolition de l’église Saint-Martin d’Arenc, propriété du diocèse mais qui n’était pas affectée au culte. Une mobilisation  de l’opinion avait empêché la destruction de l’édifice pour construire sur son emprise et celle de son enclos un établissement d’enseignement privé. Le diocèse l’a ensuite cédé en 2018 au conseil départemental qui a souhaité s’en dessaisir en 2022.

R. B.

La première pierre de cette église fut posée le 3 mars 1913. Son vocable a changé à trois reprises au cours de sa construction. Initialement Saint-Paulin, saint sans attache avec Marseille, à mettre sans doute en rapport avec le prénom de l’évêque de l’époque, Paulin Andrieux. L’église a été dédiée au Sacré-Coeur par sa fondatrice, Eugénie Armand, comme l’on va voir. Elle reçoit le vocable de Saint-Martin, uniquement évoqué par la verrière de la façade, lors de sa bénédiction. La nouvelle paroisse a été érigée le 28 septembre 1924 par démembrement du territoire de celle de Saint-Lazare, avec ajout de lisières de celles des Crottes et Saint-Mauront. Arenc aurait connu sous l’Ancien Régime une chapelle Saint-Martin. Il semble cependant que le vocable a été choisi en mémoire de la collégiale Saint-Martin, grande église gothique flamboyante rasée lors du percement de la rue Colbert. La municipalité anticléricale Brochier avait alors refusé de modifier légèrement le tracé de la rue, ce qui eût permis d’épargner l’édifice. Son titre a vraisemblablement été transféré à la vaste et belle l'église d’Arenc.

L’église d’Arenc est la seule église marseillaise à avoir été entièrement construite par une riche donatrice qui l’a offerte au diocèse. Dès 1899 mademoiselle Eugénie Armand avait chargé par testament son neveu de verser 250 000 francs pour construire, « sur les terrains du Lazaret, une église dédiée au Sacré Coeur et un presbytère y attenant ». Il s’agit de la soeur du comte Amédée Armand, propriétaire des mines de Valdonne, l’un des principaux bienfaiteurs du diocèse, qui avait lui-même édifié la Toursainte de Sainte-Marthe en l’honneur du dogme de l’Immaculée Conception, promulgué en 1854 (son titre nobiliaire était d’ailleurs d’origine pontificale).

En 1912, le comte Armand neveu exécute les volontés de sa tante et achète un terrain de 3000 m2 à Arenc. La guerre va retarder l’édification de l’église et modifier son vocable: en effet mgr Fabre juge Arenc « trop éloigné du centre de la ville ». En fait, l’évêque a fait voeu au nom des catholiques de Marseille, « pour obtenir la victoire, d'ériger une basilique du Sacré-Coeur qui a déjà sauvé nos ancêtres de la peste ». Il en pose la première pierre lors du bicentenaire de la peste, en 1920, en bordure de l'avenue du Prado où la future église vient remplacer dans un quartier riche et peuplé la très modeste église Saints-Adrien et Hermès.

A cette date, il est vraisemblable que la façade de l’église d’Arenc est déjà réalisée. Cette façade de pierre appareillée est tout entière dédiée au Sacré-Coeur. Au tympan de la porte principale, Raybaud a représenté en haut relief le Christ dans une mandorle montrant son coeur, entouré de deux anges. A droite se tiennent saint Paul et saint Augustin. A genoux à leurs pieds, soeur Anne-Madeleine Rémuzat (visitandine qui a propagé à Marseille le culte du Sacré-Cœur) et le comte Amédée Armand, ancien président de la chambre de commerce, offrant le cierge du voeu de la peste. A gauche, saint Jean l’évangéliste et saint Bernard ; à genoux Mgr de Belsunce et dans l’angle le comte Armand neveu, en costume du XIIe siècle (sic) tenant d’une main le cierge et de l'autre la maquette de l’église. A la partie supérieure de l'église, l’inscription « Sacratissimo cordi Iesus » (au très sacré coeur de Jésus) et sur le fronton le Sacré-Coeur rayonnant en haut relief surmonté de la croix.

 Outre le mécénat des Armand, les dons de fidèles du quartier (signalés par une plaque au bas de la nef) allaient permettre le quasi-achèvement de cette vaste église (seule la partie supérieure du clocher semble ne pas avoir été réalisée). 

Saint-Martin d’Arenc est une réalisation très soignée par sa silhouette extérieure - en particulier la verticalité majestueuse de son chevet -, ses belles proportions intérieures, la qualité de la sculpture de sa façade et des nervures de ses trois absides, par l’ensemble constitué par son maître-autel et ses deux autels absidiaux, ornés de mosaïques, voire par les belles pentures de ses trois portes.

L’édifice est l’oeuvre de Théophile Dupoux, architecte diocésain (Avignon 1849- Marseille, 1924). Ancien élève de l’école des Beaux-Arts de Marseille, T. Dupoux fut le principal collaborateur de son compatriote l’abbé Joseph Pougnet (Avignon, 1829-Marseille 1892). Il se présentait lui-même comme l’élève de ce prêtre-architecte hors du commun qui est l’auteur en particulier des églises des Réformés et de la Cabucelle à Marseille, de l’abbaye de Frigolet dans le département et d’un nombre considérable d’autres édifices - dont les basiliques d’Hippone et Tunis en Afrique du nord et deux églises à Jérusalem. Il semble avoir été également influencé par le grand architecte lyonnais P. Bossan : aurait-il été employé par ce dernier au chantier du couvent des Dominicains de Marseille et pour la restructuration de la grotte de la Sainte-Baume ?

T. Dupoux construisit les écoles de garçons de Marignane et le bel hôtel particulier du 174 rue Consolat (1886). Il s’est ensuite consacré à l’architecture religieuse. Il reconstruisit la nef de l’église des Aygalades, donna à Notre-Dame-du-Mont son aspect actuel, construisit le clocher de l’église de Saint-Barnabé, complétant ainsi une oeuvre de Pascal Coste. Il éleva Saint-Philippe-et-Notre-Dame-de-Lourdes, à la rue Sylvabelle, Saint-Antoine-de-Padoue au Roucas-Blanc, Saint-Martin d’Arenc, Notre-Dame-du-Rouet et hors de Marseille, Sainte-Roseline de Roquefort-la-Bédoule. Son chef d’oeuvre aurait dû être le Sacré-Coeur du Prado, commencé en 1920, mais qui ne sera pas achevé à sa mort, ni à celle de son fils et collaborateur Edouard, en 1937. Comme son maître, il dessina aussi des autels - en particulier ceux des églises des Réformés et des Chartreux.

Saint-Martin d’Arenc est sans doute une des meilleures réalisations de Dupoux avec Sainte-Roseline de la Bédoule, la seule dont la décoration ait été entièrement achevée.

L’église est par ses dimensions et sa qualité architecturale la réalisation religieuse la plus importante de Marseille entre l’achèvement du gros œuvre de la Major et le début de construction de la basilique du Sacré Cœur. Elle constitue, davantage que cette dernière, qui résulte de l’intervention successive de trois architectes et n’a pas reçu sa décoration sculptée, l’un des meilleurs exemples provençaux du néo-roman inventif de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, désormais pleinement réévalué par la recherche historique. Elle est, pour l’histoire de l’architecture régionale, d’une importance comparable par exemple à celle de l’église de Rians (Var), reconstruite par l’abbé Pougnet avec l’intervention de T. Dupoux. Elle constitue l’élément patrimonial le plus ancien d’un quartier qui devient la vitrine

Pour replacer l’église dans son contexte : R. BERTRAND, Le patrimoine de Marseille. Une ville et ses monuments, Marseille, éd. J. Laffitte, 2001, 216 p., ill. L’église est citée p. 177. R. BERTRAND dir., Joseph Pougnet (1829-1892), prêtre-architecte ou le Moyen-Âge et l’Orient revisités, Marseille, La Thune, 2013, 181 p. ill. Th. Dupoux, p. 71-74.

 

Régis Bertrand
de l’Académie de Marseille
Professeur émérite d’Histoire moderne
Aix-Marseille université

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* Régis BERTRAND

Professeur émérite d’histoire moderne
Aix Marseille Université, CNRS, UMR 7303 TELEMMe, Aix-en-Provence, France

Derniers ouvrages parus :

-- Régis Bertrand, Henri de Belsunce (1670-1755), l’évêque de la peste de Marseille, Marseille, éd. David Gaussen, 2020, 360 p.
-- N. Coulet et F. Mazel dir., Histoire d’Aix-en-Provence, Rennes, Presses univ. de Rennes, 2020 (« Le XVIIe siècle, le grand siècle à Aix »)
-- Jean Guyon dir., Marseille et sa Major. Métamorphoses d’une cathédrale, de l’Antiquité à nos jours, Avignon, éd. Marion Charlet, 2022 (deux chapitres).

-- Marseille en temps de peste, 1720-1722, Marseille-Gand, Schnoek-Ville de Marseille, 2022 (Introduction et trois contributions).

À paraître :

-- L’église des Chartreux de Marseille et ses œuvres d’art, (quatre chapitres).
-- Régis Bertrand, Histoire de la Provence, Quintin, éd. J.-P. Gisserot.

 

 

 

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